Venezuela. La Constituante, l’étroit chemin du président Nicolas Maduro

Feb 20, 2023 | 0 Comentarios

Le 3 mai à Caracas, lors d’un meeting de Nicolas Maduro, une femme tend la Constitution de la République bolivarienne de 1999 et un portrait d’Hugo Chavez. Marco Bello/Reuters

L’élection de l’Assemblée le 30 juillet s’annonce à haut risque. L’exécutif socialiste y voit pourtant une réponse à la crise qui mine le pays. Victime de sanctions, il affronte aussi une opposition prête à tout pour le renverser.

28 de julio de 2017

Cathy Dos Santos

La polarisation politique est à son comble au Venezuela. Elle s’est dangereusement acérée il y a quatre ans avec la brutale détérioration de l’économie et la disparition du président Chavez. Pour colmater les crises, son successeur, Nicolas Maduro, a convoqué l’élection d’une Assemblée constituante le 30 juillet. Le gouvernement socialiste entend ainsi graver dans le marbre les conquêtes sociales de ces vingt dernières années, et combattre l’insupportable inflation dont les conséquences se mesurent aux longues files d’attente devant les magasins. La Constituante, critiquée par une partie des chavistes, se veut une réponse à la guerre interne menée par la coalition de droite qui, forte de sa majorité à l’Assemblée nationale, prétend déloger, par tous les moyens, l’exécutif. Son appel au boycott de la Constituante est à prendre très au sérieux. Après une grève de 48 heures, elle poursuit son coup de poing dans la rue, en appelant à la « prise de Caracas ».

Caracas est un miroir grossissant. À l’est, dans le fief de l’opposition de droite, les barricades et autres check-points, dressés par les éléments les plus radicaux, ont transformé ce havre bourgeois en un spectacle désolant de guerre. Ces territoires huppés contrôlés par les partisans de la Mesa de la Unidad Democratica (MUD) tranchent singulièrement avec le reste de la capitale vénézuélienne où couche moyenne et petit peuple cohabitent non sans mal parfois. Ce contraste s’est encore vérifié cette semaine avec la grève de 48 heures (mercredi et jeudi) lancée par l’opposition, la seconde en une semaine, afin de contrecarrer l’élection de la Constituante, le 30 juillet, et qui aura essentiellement été suivie dans son bastion. Et pourtant, ces deux journées « d’action » ont fait encore trois morts, à l’heure où nous écrivons ces lignes, portant à 105 le nombre de Vénézuéliens tués depuis avril, date à laquelle la MUD a renoué avec sa stratégie insurrectionnelle. Il y a trois ans déjà, lorsque la MUD avait lancé « l’issue » censée déloger le Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) du pouvoir, plus de 40 personnes avaient trouvé la mort, dont plusieurs agents de la garde nationale.

La déflagration économique au centre des inquiétudes

Depuis, la situation n’a cessé de se détériorer. Les tensions sociales sont palpables à mesure que la crise économique s’aggrave. Cette dégradation généralisée a poussé le gouvernement à convoquer l’élection d’une Assemblée constituante dont la finalité n’est pas de modifier l’ossature du texte fondamental mais de blinder les droits sociaux acquis ces deux dernières décennies, réajuster le système économique et résorber ainsi la brèche des violences. « Ils ne nous ont pas laissé d’alternative », a reconnu le président Nicolas Maduro, en allusion à l’opposition qui a même rejeté une médiation internationale. L’initiative défensive est depuis conspuée par la droite qui crie à la « fraude » et ose même qualifier la démarche de « coup d’État ».

Le taux de participation, un point névralgique de discorde

Son appel au boycott du scrutin de ­dimanche vise à discréditer la future Constituante qui la priverait du pouvoir législatif qu’elle détient depuis sa victoire aux élections de 2015. On regardera donc avec ­attention le taux de participation, qui sera, à n’en pas douter, un point névralgique de discorde et sujet à bien des interprétations politiques. Et ce d’autant plus que la Constituante n’a pas manqué de soulever des interrogations, voire de vives critiques, jusque dans les rangs de la gauche, des organisations sociales et du chavisme dit critique. « Les problèmes politiques, institutionnels, économiques et de sécurité quotidienne ne se résolvent pas par décret ni avec une Constituante, mais avec des politiques publiques. Confondre des politiques publiques avec des réformes législatives met en évidence une précarité politique. La Constitution n’est pas là pour garantir des politiques publiques conjoncturelles, mais pour établir des droits qui doivent être satisfaits par elles (…) Cet écran de fumée ne peut nous distraire de l’essentiel : la pénurie, l’inflation, l’insécurité, la polarisation politique, la crise de légitimité », soutient Keymer Avila, sociologue, expert en criminalité et en droits de l’homme.

La terrible déflagration économique est en effet au centre des préoccupations. Prétexte de l’opposition pour fustiger l’inefficacité du gouvernement, elle n’en reste pas moins la principale source de mécontentement, surtout dans les couches ­populaires qui sont la base électorale du chavisme. Cette crise économique explique la défection de près de 2 millions de voix socialistes en 2015, qui ne se sont pas pour autant reportées à droite. L’effarante inflation – 900 % à la fin de l’année – explique, pour une grande part, la perte de ­vitesse des autorités.

Les dépenses sociales maintenues

En 2013, la baisse des prix des matières premières a très fortement touché le Venezuela, trop dépendant de sa rente pétrolière. ­L’exploitation de l’or noir, qui représente 98 % de ses exportations, et donc de ses ­rentrées de devises, pèse pour 50 % de ses recettes fiscales. La chute de près de trois quarts des cours du brut depuis ­l’accession du président Nicolas Maduro au pouvoir a considérablement amputé le budget de l’État vénézuélien même si ce dernier a maintenu au même niveau les dépenses sociales, et renforcé les aides alimentaires.

Les pénuries, la rareté des médicaments et des produits de première nécessité ne sauraient néanmoins être exclusivement imputées au manque de réformes économiques structurelles. La « guerre économique », rappelant singulièrement celle orchestrée en 1973 au Chili pour discréditer le président Salvador Allende, est une réalité, des secteurs économiques privés n’hésitant pas à bloquer l’accès aux marchandises importées. La contrebande de denrées ­alimentaires, d’essence, ou encore la spéculation du marché noir sur le dollar au ­détriment du bolivar, la monnaie ­vénézuélienne, ont participé à la détérioration de la qualité de vie des Vénézuéliens, dans l’espoir de les « retourner ». C’est là une corde sensible sur laquelle joue l’opposition, incapable, après avoir essuyé vingt ans d’échecs électoraux, de défaire dans les urnes le succès des politiques d’inclusion sociale du PSUV. Mais la MUD ne la joue pas seulement propre. Cette coalition de partis, qui couvre un large spectre jusqu’à l’extrême droite, n’hésite pas à piétiner les règles du jeu démocratique et ce, depuis la première élection du président défunt en 1998. Le caractère de classe du conflit ­politique explique d’ailleurs toutes les outrances auxquelles elle s’est crue autorisée. Putsch en 2002, lock-out pétrolier dans la foulée, boycott de scrutin pour disqualifier la révolution bolivarienne et son « socialisme du XXIe siècle », l’opposition n’a jamais désarmé. Mais elle a même monté d’un cran le coup de force. Sa frange la plus ­extrémiste et armée, qui s’est autobaptisée « la résistance », n’hésite pas à incendier des centres publics de santé, des bâtiments officiels ou encore des camions entiers de vivres. Des « chavistes » ont été brûlés vifs parce que « chavistes ».

Cette sédition ne semble pas émouvoir à l’étranger

Décidés à en découdre, les dirigeants de la MUD, qui ont qualifié cette semaine de « décisive », ont invité la population au « soulèvement total ». Plus inquiétant, le vice-président de l’Assemblée nationale, Freddy Guevara, a exhorté les siens à une « prise de Caracas » cette fin de semaine, dans l’espoir de torpiller la Constituante. L’effusion de sang n’est pas à écarter. Mais la droite joue là son va-tout. Après avoir désigné un nouveau Tribunal suprême de justice illégal, elle ambitionne de constituer un gouvernement qui le serait tout autant, créant de facto une sorte d’État parallèle.

La situation est grave. Mais cette sédition ne semble pas émouvoir, à l’étranger, outre mesure. Au contraire, les États-Unis, qui ont toujours pris fait et cause pour l’opposition – Washington s’était empressé de légitimer en 2002 les autorités ­putschistes – ont annoncé mercredi des sanctions contre treize « responsables du gouvernement vénézuélien et d’autres qui sapent la démocratie ». Quant à la cheffe de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, elle s’est dite inquiète des « violations des droits de l’homme et de l’usage excessif de la force ». Sans souffler mot des exactions et des actes anticonstitutionnels de l’opposition. Constituante ou insurrection réactionnaire…

Publicado originalmente en: l’Humanité.fr

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