Au Venezuela, « les inspections illégales, les arrestations arbitraires et les disparitions sont devenues monnaie courante »

Ago 11, 2024 | 0 Comentarios

Un collectif de spécialistes du droit et de la violence en Amérique latine appelle, dans une tribune au « Monde », à l’arrêt des « violations massives des droits humains » commises par l’exécutif vénézuélien depuis l’élection contestée de Nicolas Maduro et à l’organisation d’un recomptage indépendant des voix du scrutin présidentiel.

Publié le 09 août 2024 à 07h00

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Nous, membres de l’Association latino-américaine de droit pénal et de criminologie (Alpec), spécialistes de l’étude de la violence, de la sécurité, de la politique criminelle et des droits humains en Amérique latine, activistes, intellectuels et universitaires, exprimons tous notre profonde inquiétude devant la violence croissante des institutions étatiques au Venezuela, depuis la proclamation, à la hâte, du Conseil national électoral, de la victoire de Nicolas Maduro à l’élection présidentielle, le 28 juillet.

Ce Conseil, entièrement entre les mains du pouvoir exécutif, qui n’a aucune crédibilité tant sur le plan national qu’international, a enfreint l’obligation stipulée par le code électoral de ne proclamer le résultat des élections qu’à l’issue du décompte de la totalité des bulletins de vote. L’opposition, qui possède des copies de 81 % des actes du dépouillement des urnes, avance qu’Edmundo Gonzalez Urrutia l’a emporté avec deux fois plus de votes que Maduro. Ce déni de la volonté populaire par le gouvernement a entraîné toute une série de protestations spontanées, plus de 500 dans l’ensemble du pays, qui ont été réprimées avec violence, de façon arbitraire et illégale.

Les rues en état de siège

L’Etat vénézuélien a mis en branle, avec une intensité jamais vue auparavant, tous les dispositifs répressifs qu’il a mis au point et utilisés ces douze dernières années, telles les opérations de libération du peuple (OLP), les forces d’actions spéciales (FAES).

Leurs actions ont pour caractéristique d’être parmi les plus meurtrières d’Amérique latine, comme l’ont démontré de nombreuses études scientifiques et de multiples rapports des organisations internationales, au premier chef ceux du Monitor del Uso de la Fuerza Letal en América Latina y el Caribe [un indicateur pour mesurer l’usage des armes létales, financé notamment par Open Society Foundations, qui regroupe plusieurs organismes de recherche latino-américains], comme ceux de deux instances de l’Organisation des Nations unies, le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) et la Mission internationale indépendante d’enquête sur le Venezuela.

Ce ne sont pas moins de vingt personnes qui ont trouvé la mort en une semaine, dont quatre ont été tuées par les membres de la sécurité de l’Etat, d’autre part des fonctionnaires qui agissent au sein de groupes paramilitaires connus sous le nom de « collectifs ». Ces corps répressifs agissent de façon concertée avec d’autres institutions, notamment les comités locaux d’approvisionnement (CLAP), les unités de bataille Hugo-Chavez (UBHC) et les réseaux d’articulation et d’action sociopolitique (RAAS), ou encore par le biais de systèmes de délation, comme l’application pour les téléphones portables VenApp, conçue pour que les citoyens puissent dénoncer anonymement les dissidents, les opposants et les manifestants.

L’état d’exception permanent que connaît le Venezuela depuis des années s’est durci. Les rues sont en état de siège, les militaires et les policiers ont établi des points de contrôle où, entre autres choses, ils examinent les téléphones portables. S’ils découvrent des mentions du nom d’Edmundo Gonzalez ou des partis qui l’appuient, leurs possesseurs sont arrêtés.

Population surveillée, terrorisée

Les inspections illégales, les arrestations arbitraires et les disparitions sont devenues monnaie courante. On ne peut plus circuler librement après 18 heures, toute personne qui s’y risque est arrêtée. Les forces de l’ordre utilisent massivement des drones pour mieux surveiller la population, la terroriser, entraver sa liberté de mouvement et la tenir en haleine. Cette situation n’est régie par aucune mesure légale, mais elle s’impose dans les faits.

Quatre jours après les élections, on ne comptait pas moins de 1 062 personnes détenues [chiffre donné par le procureur général de la République, Tarek William Saab]. Maduro a lui-même annoncé dans ses discours qu’il ferait procéder à 1 000 autres arrestations et qu’il faisait remettre en service deux prisons de haute sécurité pour y détenir les manifestants. La menace d’être emprisonné est constante.

A l’image de ce qui s’est passé ces dernières années, les détenus ne peuvent choisir un avocat, ils sont transférés sans que leurs familles soient informées ni de leur lieu de détention ni de leur arrestation. On procède à des auditions massives en ligne sans que jamais les responsabilités individuelles soient établies. On utilise des chefs d’inculpation généraux et imprécis : « incitation à la haine », « trahison à la patrie », « terrorisme », etc.

Tous ces faits ont été établis par les organisations de défense des droits de l’homme, les citoyens qui, face à la censure, utilisent les réseaux sociaux comme moyens d’expression et les rares médias internationaux qui informent depuis le Venezuela. Tout cela a déjà été affirmé par la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), il y a près d’un an : « La répression [à laquelle on assiste] rappelle les formes que l’on a pu observer de 2014 à 2017 dans un contexte d’absence d’état de droit et de démocratie. »

Une expertise crédible et indépendante

Comme de coutume, cette violence institutionnelle illimitée est utilisée de différentes façons selon les milieux sociaux. Les quartiers de la périphérie urbaine sont en proie à la violence la plus létale. L’emploi de cette violence s’accompagne d’une multiplication des vols et du racket des fonctionnaires à l’encontre de leurs victimes. Le butin fait partie de leurs récompenses.

Le discours officiel stigmatise et criminalise toute forme de dissidence. Les détenus sont présentés comme des drogués et des délinquants ; ils sont exhibés de la façon la plus déshumanisante, de telle sorte que les violations de leurs droits apparaissent comme justifiées. On les a aussi exhibés en leur faisant crier des slogans en faveur du gouvernement ou en leur demandant d’implorer le pardon, comme dans autant de mises en scène de séances de rééducation politique.

C’est pour cela que nous exigeons :

– premièrement, la fin immédiate de toutes ces violations massives des droits humains contre la population, et la traduction en justice des responsables de tels actes ;

– deuxièmement, que l’on réalise un comptage et une expertise crédibles et indépendants de tous les actes de dépouillement du scrutin. L’acceptation des actes de dépouillement du scrutin et des résultats des votes sont le chemin pour la paix.

Liste des signataires : Germán Aller, professeur de droit pénal, université de la République (Uruguay) ; Fernando Tenorio Tagle, directeur du Centre d’enquêtes juridiques politiques de l’Université autonome de Tlaxcala (Mexique) ; Keymer Avila, Institut de sciences pénales de l’Université centrale (Venezuela) ; Mauricio Stegemann Dieter,professeur de criminologie, université de Sao Paulo (Brésil) ; Ana Cecilia Morun Solano, professeur de droit, Université autonome de Santo Domingo (UASD, République dominicaine) ; José Luis Guzmán Dalbora, professeur de droit pénal, université de Valparaiso (Chili) ; Fernando Tocora, ex-magistrat, professeur de droit, université Santiago de Cali (Colombie) ; Hermes Ramírez Avila, professeur de droit, Université autonome nationale du Honduras (Honduras) ; José Héctor Carreón Herrera, directeur de l’Instituto de Estudios del Proceso Penal Acusatorio (Ineppa, Mexique) ; Jorge Rossell Senhenn, professeur à l’Université pédagogique expérimentale Libertador, ex-président de la Chambre de cassation pénale du Tribunal suprême de justice (TSJ, Venezuela).

Traduction de Gilles Bataillon, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).

Publicado originalmente en: Le Monde

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